Reine mère

F Watchlist

Au cinéma comme ailleurs, ne jamais se fier aux apparences. Charmant, le premier adjectif qui vient en tête pour qualifier Reine mère, ne rend pas justice à la force subversive qui traverse, comme une lame de fond, le deuxième long-métrage de la Franco-Tunisienne Manele Labidi (Un divan à Tunis), comédie sociale sise dans le Paris des années quatre-vingt. Immigré·es tunisien·nes, Amel et Amor forment un couple explosif dépassé par les défis qui se présentent en cascade: sommés de quitter leur appartement, ramant financièrement et usés par le racisme ordinaire, les deux adultes sont littéralement pris de court lorsque leur fille aînée, Mouna, s’imagine d’abord persécutée par Charles Martel, dont elle a appris en cours d’histoire qu’il avait repoussé les Arabes à Poitiers en 732, puis, par un retournement inexplicable, considère le chef militaire franc comme son meilleur ami. Grâce à ce dernier, auquel donne corps un Damien Bonnard rigolard et bougon, elle surmonte les difficultés de son quotidien et s’affirme face à sa mère au tempérament fier et exubérant, incarnée par la charismatique Camélia Jordana. Lors d’une sortie scolaire au musée, la jeune fille admire un tableau de Charles de Steubun, peint en 1837, représentant la bataille de Poitiers. À ses côtés, son ami imaginaire souligne les invraisemblances et autres anachronismes qui peuplent l’œuvre picturale, exécutée lors de la conquête de l’Algérie par la France, déconstruisant l’air de rien le mythe identitaire érigé autour de cet événement historique. À la bataille de Poitiers répond le combat que mène Manele Labidi sur le terrain de l’imaginaire, avec pour louable objectif la récupération de la figure de Charles Martel, passée il y a plusieurs décennies aux mains de l’extrême-droite. Sous ses airs inoffensifs, la comédie est une arme redoutable.