Amélie et la métaphysique des tubes
Maïlys Vallade, Liane-Cho Han Jin Kuang, France, 2025o
Petite fille belge née au Japon, Amélie est persuadée d'être Dieu. Jusqu'à ses deux ans et demi, elle demeure inerte. Puis l'enfant commence à crier. À trois ans, elle se met soudainement à parler. En marge de sa famille, Amélie trouve réconfort auprès de sa grand-mère et de sa nourrice Nishio-san. Ses liens sont précieux pour le jeune enfant, auquel chaque jour apporte son lot de bonheur et de tragédie.
Le projet avait de quoi faire froncer les sourcils: adapter le roman autobiographique d'Amélie Nothomb Métaphysiques des tubes sous la forme d’un dessin animé destiné à un jeune public. Chiche ou pas chiche? Le duo formé par Maïlys Vallade et Liane-Cho Han a su relever le défi. Leur ambitieux premier long-métrage frappe par son style graphique hallucinant: pour raconter les trois premières années d’une étrange fillette belge née au Japon d’un père ambassadeur et d’une mère pianiste, les cinéastes ont conçu un univers visuel tenant autant de la littérature illustrée pour enfants que des expérimentions propres au cinéma d’animation psychédélique. Il fallait bien ça pour faire passer la pilule d'un récit délirant, à la limite du crédible: la petite Amélie, durant ses premières années de vie, se prend pour Dieu et accède à une expression verbale parfaitement maîtrisée à l’âge de deux ans et demi... Autre prouesse, les réalisateur·ices ont réussi à épouser la perspective de cet enfant aux dons improbables. Si le film est étanche à toute forme de rationalité, c’est parce qu’il embrasse le regard d’une petite fille dont chaque nouveau pas dans l'existence est une source d'émerveillement. Concentré sur une durée assez brève, le récit ne laisse pas la place nécessaire à l’épanouissement de l’intrigue parallèle centrée sur la relation entre la nourrice Nishio-San et l'austère Kashima-San. Propriétaire de la maison occupée par la famille belge, celle-ci voit d’un mauvais œil l’attachement grandissant entre la fillette et sa nounou. À travers ce personnage, le film s’avance sur la piste du ressentiment envers l'Occident nourri par une frange de la population japonaise marquée par les souvenirs de la guerre, mais s’arrête vite en chemin. Qu’importe: les délires visuels qui ponctuent le film – du bal des carpes dans un étang au flux et reflux des vagues observées par la petite fille – restent longtemps en mémoire. Tout comme l'étrange impression d'être redevenu soi-même, pendant 75 minutes, un enfant.
Emilien Gür
