Birds of America
Jacques Lœuille, France, 2022o
Dans la première moitié du 19e siècle, le Français Jean-Jacques Audubon a parcouru la Louisiane pour peindre tous les oiseaux du nouveau continent. A la même époque, l'industrialisation et l'expulsion des peuples indigènes battaient leur plein. Le compatriote d'Audubon, Jacques Loeuilles, retrace le parcours du peintre et ornithologue à travers le sud actuel des États-Unis. Les descendants des expulsés racontent leur histoire, tandis qu'à l'horizon s'étendent les terres désertes de l'industrie lourde. Les impressions de voyage atmosphériques montrent à la fois le refoulement et la résilience de la nature et montrent le mythe américain des pionniers sous un autre angle.
Le premier long métrage de Jacques Loeuille, Birds of America, est au cinéma documentaire ce que le chef-d’œuvre de Kelly Reichardt, First Cow (disponible sur cinefile), est au cinéma de fiction. Les deux films éclairent la formation du rapport problématique des États-Unis à la nature. Dans son film, Kelly Reichardt imagine deux vagabonds qui, autour de 1820, utilisent la vache laitière d’un riche propriétaire terrien pour confectionner des gâteaux, geste de résistance contre un capitalisme balbutiant qui transforme les animaux en source de capital. Le documentaire de Jacques Loeuille est quant à lui consacré à un peintre français qui, durant la même période, parcourait la Louisiane afin d’en inventorier les oiseaux, alors même que de nombreuses espèces commençaient à s’éteindre sous l’effet de l’expansion de la colonisation. Depuis, les choses ne se sont pas franchement améliorées. Birds of America nous rappelle qu’au commencement du débâcle, il y avait deux yeux pour pleurer la nature décimée : ceux d’un dessinateur qui aimait les oiseaux. Il s’appelait Jean-Jacques Audubon, il était pauvre, mais son regard était riche. Aujourd’hui, on ferait bien de s’en souvenir.
Emilien Gür