Ni chaînes ni maîtres
Simon Moutaïrou, France, 2024o
1759. L’île Maurice est aux mains du Royaume de France. Massamba et Mati, esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un «marron», un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial.
Les films sur l'esclavage sont confrontés à un problème fondamental, similaire à celui auquel se heurtent les films sur l'Holocauste : il est difficile de raconter une horreur indicible sans l'esthétiser, l'exploiter, la minimiser ou la montrer dans toute son atrocité. Si un cinéaste comme Simon Moutaïrou tient à préserver de l'oubli les réalités traumatisantes de l'esclavage dans les colonies françaises, il n'a pas d'autre choix que de (tenter de) trouver une forme narrative appropriée. Celle de l'auto-libération, par exemple : alors qu'il n'y a eu qu'une seule révolte d'esclaves réussie dans le monde, les «petites» formes de résistance, par exemple par la fuite, ont été relativement nombreuses. Ni chaînes ni maîtres raconte de manière convaincante un «marronnage» de ce type, qui a eu lieu au XVIIIe siècle sur l'île Maurice. La réussite du film tient d'abord au scénario et à son équilibre réussi entre détails historiques, manifestement fruits d'une recherche minutieuse, et une intrigue linéaire sur la fuite d'une fille et de son père loin de l'enfer d'une plantation de canne à sucre, à travers les forêts jusqu'à la mer, de l'autre côté de laquelle Madagascar fait figure de lieu mythique de liberté. En outre, les adversaires des fugitif·ves sont doté·es de plus d'ambiguïté qu'il n'en faudrait en principe. Benoît Magimel joue le propriétaire de la plantation, à qui le code noir ne laisse «pas d'autre choix» que de punir brutalement les esclaves fautifs, tandis que Madame La Victoire (Camille Cottin) est mue par sa conscience professionnelle de chasseuse d'esclaves et par ses propres traumatismes. Au centre du film, Ibrahima M'Baye et Thiandoum Anna Diakhere incarnent à chaque instant les conditions extrêmes de l'esclavage et de la fuite avec une intelligence et une dignité renversantes.
Dominic SchmidGalerie photoso





