Rendez-vous avec Pol Pot
Rithy Panh, France, Cambodge, 2024o
1978. Depuis trois ans, le Cambodge est sous le joug de Pol Pot et ses Khmers rouges. Le pays est économiquement exsangue, et près de deux millions de Cambodgiens ont péri dans un génocide encore tu. Trois Français ont accepté l’invitation du régime et espèrent obtenir un entretien exclusif avec Pol Pot: une journaliste familière du pays, un reporter photographe et un intellectuel sympathisant de l’idéologie révolutionnaire. Mais la réalité qu’ils perçoivent sous la propagande et le traitement qu’on leur réserve va vont peu à peu faire basculer les certitudes de chacun.
Attention, film fort, mais pas évident. Lui-même rescapé du génocide cambodgien perpétré par les Khmers rouges dans les années 1970 (avec près de deux millions de morts), Rithy Panh s'est donné pour mission de témoigner et surtout de chercher à comprendre ce qui s'était passé. Il apporte une nouvelle pierre à son admirable édifice avec ce film qui mêle documentaire et fiction et relate la seule visite de journalistes étrangers à Pol Pot, le dirigeant en chef du dit «Kampuchea démocratique». On est en 1978, peu avant la chute du régime du fait de sa guerre contre le Vietnam voisin. Trois Français agréés espèrent encore obtenir un entretien exclusif du leader communiste, soupçonné d'exactions après trois années au pouvoir: une journaliste familière du pays, un photo-reporter noir et un intellectuel sympathisant, ancien ami d'université. Mais la propagande omniprésente, leur strict contrôle et le peu qu'ils parviennent à entrevoir du pays ont déjà de quoi les inquiéter. Et s'ils étaient en danger eux-mêmes? Ne disposant que de moyens très modestes, le cinéaste a préféré se souvenir d'une certaine modernité que de viser une coûteuse et illusoire reconstitution. Il a ainsi ponctuellement recours à des inserts d'archives et à des maquettes avec figurines, comme dans son bouleversant L'image manquante (2013). Le résultat n'en est sûrement pas moins frappant, qui finit par exposer l'idéalisme meurtrier de ce régime délirant. Un bémol vient toutefois entacher cette forte impression: dans la réalité, le trio était anglo-saxon, Rithy Panh s'autorisant par ailleurs des libertés douteuses pour mieux appuyer sa démonstration. Un cinéaste a priori inattaquable a-t-il pour autant le droit de falsifier ainsi les faits?
Norbert Creutz